L’inflation, la croissance et les banques centrales

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2022 a été une année de grands changements. Au moins quatre de ces mutations devraient rester d’actualité pour 2023:les tensions géopolitiques, avec la guerre en Ukraine; des prix de l’énergie durablement élevés ; une inflation qui est revenue au premier plan après avoir disparu pendant vingt ans et qui ne reviendra pas sur les niveaux pré-crise ; la fin du mythe de l’argent gratuit et illimité qui fait peser des menaces sur le financement des dettes souveraines à long terme.

Linflation la croissance et les banques centrales 01La bonne nouvelle, c’est que la thématique du rendement est de retour sur les marchés obligataires souverains, sur le crédit. Ces classes d’actifs retrouvent un véritable intérêt au sein des allocations d’actifs. L’année 2023 devrait, selon nous, bien se terminer sur les marchés actions, mais il peut encore y avoir des moments compliqués à gérer, notamment en relation avec l’évolution de l’inflation ou des politiques monétaires des banques centrales.

Quels sont les thèmes qui guident les marchés sur les premiers mois de 2023 ?
La persistance des pressions inflationnistes inquiète à juste titre les banques centrales, dont le combat contre l’inflation n’est pas encore gagné. Sur un rythme annuel, les composantes moins volatiles de l’inflation sont trop élevées:respectivement à 5,6 % en février en zone euro et à 5,6 % en janvier aux Etats-Unis.
Les banquiers centraux ont déjà expliqué que l’inflation des services est la composante clé à surveiller, car c’est la plus étroitement liée à l’évolution des salaires et donc aux conditions du marché du travail qui alimentent à leur tour la demande et les pressions sur les prix.
Pour l’heure, grâce à la croissance de l’emploi et de la consommation, les marchés anticipent que l’atterrissage se fera en douceur pour l’économie américaine. Mais des signes de fléchissement sont bien présents au-delà du secteur immobilier, comme la contraction depuis quatre mois du secteur manufacturier indiquée par les enquêtes conjoncturelles et des conditions de financement bien dégradées pour les entreprises qui reflètent un rationnement du crédit. Ces signes devraient normalement conduire à une intensification du ralentissement sur les trimestres à venir.
En zone euro, la situation reste décalée par rapport aux Etats-Unis : non seulement l’inflation sous-jacente en absolu devrait dépasser celle des Etats-Unis, mais elle est encore dans une dynamique croissante – au moins jusqu’au printemps dans notre scénario central. En février, les anticipations d’inflation ont d’ailleurs déjà été revues significativement à la hausse. Les marchés anticipent actuellement une inflation durablement supérieure à 2 % sur tous les horizons. Si les tensions financières disparaissent et que le risque systémique est évité, le contexte macroéconomique justifie toujours des taux directeurs à 3,5 %. Du côté des bonnes nouvelles, l’évolution des prix à la production signale que le point de retournement pour l’inflation des biens industriels et alimentaires pourrait arriver d’ici quelques mois.

Quel impact cela a-t-il sur les marchés de taux et d’actions ?
Le cycle de resserrement monétaire des grandes banques centrales continue. Les taux directeurs augmentent graduellement, entraînant avec eux les taux courts du marché monétaire. Les taux longs sont davantage exposés à l’incertitude qui demeure en Europe, mais aussi aux Etats-Unis sur la durée et l’amplitude de ce resserrement monétaire.
La BCE devra, en effet, lutter encore plus fermement contre les pressions inflationnistes. Deux forces devraient donc s’opposer dans les semaines et mois à venir. Le discours des banquiers centraux d’une part et la valorisation des marchés obligataires d’autre part. La remontée récente de la volatilité dans le sillage des inquiétudes sur le système bancaire, pourrait offrir des opportunités tactiques sur le marché des taux d’intérêt. Côté crédit, les révisions de croissance en Europe et les bons résultats des entreprises soutiennent le marché et confortent notre vision constructive sur cette classe d’actifs et son intérêt pour le portage. Le marché du crédit Investment Grade pourrait toutefois être concurrencé par les produits monétaires alors que le crédit haut rendement devrait tirer son épingle du jeu si la volatilité des spreads reste faible. Les marchés actions sont restés résistants durant la phase de remontée des taux longs, portés par une croissance qui surprend par sa résilience et des anticipations de ralentissement économique revues à la baisse. Les prévisions de bénéfices ont ainsi été revues à la hausse dans ce sillage soutenant les marchés actions. En janvier et février, les investisseurs ont préféré se focaliser sur les révisions de la croissance mondiale plutôt que sur celles de l’inflation. Au-delà d’une détérioration de la crise financière qui a fait l’actualité en mars, le principal risque pour les marchés actions pourrait être la poursuite des bonnes nouvelles économiques avec pour conséquence un risque de hausse des taux, d’autant que les chiffres d’inflation demeurent légèrement plus élevés qu’attendu. Les incertitudes sur l’action des banques centrales survenues à la suite des événements récents sur les banques nous semblent encore trop fortes pour se repositionner sur les actions aujourd’hui et nous confortent dans notre prudence à court terme sur les actions sans remettre en cause notre vue positive sur l’année.
Sur le plan géographique, le marché américain en affichant des niveaux de valorisation d’environ dix-huit fois les bénéfices estimés en 2023 est incontestablement plus cher que ses confrères européens dont le ratio ne dépasse pas treize en moyenne. Pour autant, les Etats-Unis font figure de marché-refuge lorsque la volatilité se ravive. C’est la raison pour laquelle nous n’établissons pas de hiérarchie entre ces zones au sein de nos recommandations. En revanche, le marché actions chinois qui a consolidé de plus de 10 % depuis ses plus hauts de janvier apparaît plus attractif en termes relatifs.

Que se passe-t-il en Chine et quel impact la réouverture du pays peut-elle avoir ?
La réouverture soudaine en Chine engendre une reprise spectaculaire de l’activité. Comme à chaque fois que la croissance chinoise repart, la question de son impact sur l’activité mondiale se pose au vu de la taille du pays (environ 20 % de la population mondiale) et son poids dans le PIB mondial (près de 25 %). Au cours de la dernière décennie, l’impact de la Chine a été très important:avec un taux de croissance annuel compris entre 5 % et 10 %, la contribution du pays à la croissance mondiale s’est établie entre 30 % et 50 % selon les années… Mais cette fois-ci, les choses se présentent différemment, pour plusieurs raisons. Les précédentes phases de relance en Chine au cours des dernières années étaient stimulées par des plans d’investissement. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci. Le gouvernement central ne veut pas relancer la spéculation immobilière. Alors que le niveau global de dettes devient un sujet d’attention, le gouvernement veut une reprise économique pour améliorer son bilan plutôt que de l’utiliser pour stimuler la croissance. La reprise actuelle résulte donc principalement d’un retard de consommation. Les conséquences sur les marchés de matières premières pourraient ainsi être assez modérées. Les secteurs des services et des biens de consommation devraient ainsi être les principaux bénéficiaires de cette reprise.
A moyen terme, les autorités chinoises semblent rechercher un certain équilibre financier et une stabilité dans l’économie et la société, plutôt qu’une croissance effrénée basée sur l’immobilier et les infrastructures. Pour 2023, l’objectif annoncé de 5 % paraît ainsi très conservateur pour une année de « réouverture ». L’objectif de déficit budgétaire de 3 % se situe au-dessous des attentes. Dans ces conditions, la reprise chinoise pourrait avoir, cette fois-ci, un impact plus limité sur l’économie mondiale, et modérerait ainsi la hausse des prix des matières premières et, plus généralement, de l’inflation. Ce serait une bonne nouvelle pour l’équilibre des marchés cette année et, à plus long terme, pourrait être un signe précurseur d’une déconnexion plus grande de l’économie chinoise avec le reste du monde.

Eric Bertrand,
irecteur général délégué, directeur des gestions, Ofi Invest
Achevé de rédiger le 20 mars

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