Family office, un métier en évolution

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L’Affo (Association française du family office), qui vient de fêter son vingtième anniversaire, a missionné le cabinet E&Y pour réaliser une étude sur les évolutions du métier de family officer. L’occasion d’échanger avec Evelyne Brugère, administrateur de l’Affo, et Pierre Mangas, avocat chez EY Société d’Avocats.

Investissement Conseils : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser une étude sur l’évolution de votre profession ?

Family officeEvelyne Brugère : Notre précédente étude commençait à dater puisqu’elle remontait à plus de dix ans. Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que notre clientèle avait évolué. Après avoir suivi des familles dont la fortune évoluait progressivement, nous accompagnons désormais des clients plus jeunes dont les attentes ne sont pas les mêmes. Ces derniers font fortune rapidement, les entrepreneurs 2.0, et sont plus impliqués et engagés dans la gestion de leur patrimoine, via l’investissement socialement responsable et vers de nouvelles classes d’actifs comme le Private Equity et les cryptomonnaies. Ils ont aussi une approche plus digitale. D’où notre volonté de voir comment nos pratiques ont évolué.

Pierre Mangas : L’objectif de l’étude a été de redéfinir l’environnement du family office, d’identifier les attentes des familles, de cerner les besoins des jeunes générations et de dégager des pistes de réflexion pour son avenir. Pour cela, nous avons réalisé soixante-cinq interviews de personnes œuvrant dans le domaine et qui n’étaient, bien sûr, pas tous membres de l’Affo : single family offices, multi-family offices, experts-comptables, banquiers, CGP, dirigeants d’entreprises, experts en gouvernance ou en philanthropie. 

Comment a évolué la profession ces dernières années ?

P. M : Historiquement, l’offre de service des cabinets de family office se concentrait essentiellement sur de l’ingénierie patrimoniale et la surveillance des portefeuilles. Certains proposaient des services de conciergerie, mais cela restait marginal. Depuis, la clientèle a évolué d’un point de vue sociétal, économique et financier. Les cabinets de famiy office ont dû suivre cette tendance et élargir leur palette de services. En matière d’investissement, il convient désormais d’avoir des compétences en matière de Private Equity, de club deal immobilier ou d’entreprise par exemple. L’investissement solidaire a également explosé, tout comme la philanthropie Les familles ont également de plus en plus de demande en matière de gouvernance, avec notamment l’accompagnement des jeunes générations dans leurs futures responsabilités ou la mise en place d’une cohésion familiale.

E. B. : On s’aperçoit qu’il existe deux grandes catégories de famiy office avec, d’une part, ceux qui s’adressent à des structures plus familiales, les clients historiques, et d’autre part, ceux qui ont développé une offre spécifique pour les clients « entrepreneuriaux » (start-up et entrepreneur de la tech). Cela dit, même dans les familles historiques, la montée en puissance de la nouvelle génération nous incite à faire évoluer nos pratiques.

Quelles sont les forces et faiblesses de la profession ?

P. M. : Les forces sont bien connues : l’indépendance du conseil, la technicité, l’expérience du family officer ou encore l’intuitu personae. La profession doit prendre conscience des considérations technologiques, notamment les risques en termes de cybersécurité. Une des fragilités de la profession est aussi de savoir attirer, former et conserver les talents, notamment en les associant sur le plan capitalistique.

E. B. : Au sein de l’Affo, nous avons également d’importantes discussions autour de la transmissibilité de l’activité de multi-famiy office, un sujet intimement lié à la gestion du capital humain et à la confiance qui s’est tissée dans le temps avec leur conseiller.

 Quel est le family office du futur ?

P. M.  : Il s’agira toujours d’un professionnel qui aura toujours une vision à 360° du patrimoine de ses clients. Il dispose donc de compétences techniques sur un large spectre de sujets traditionnels, mais qui s’élargissent sur de nouveaux domaines, comme sur les actifs immatériels. Il est aussi très tourné à l’international. Les prérequis ne changent pas : éthique, confiance et indépendance. Les profils seront plus divers et la profession va se féminiser. On imagine aussi que le famiy office, très parisien actuellement, va se développer en région.

E. B. : Les enjeux pour notre profession sont importants en termes de montée en compétences. Nous avons toujours comme mission de savoir écouter les familles pour comprendre les valeurs qu’elles souhaitent transmettre et les traduire dans leurs investissements. Notre compréhension des jeunes générations est également primordiale. Dans ce sens, le certificat que nous avons lancé avec l’Aurep est très structurant pour notre profession, tout comme les travaux menés par l’Affo qui sont déclinés dans les livres blancs.

Qu’en est-il du business model des family offices ?

E. B. : La profession n’étant pas réglementée, chacun peut procéder à sa façon. S’il peut percevoir des rétrocessions – ce qui implique des conflits d’intérêts –, le famiy officer opère en totale transparence avec son client et rétrocède les commissions perçues au client. L’idéal est, bien sûr, une rémunération 100 % honoraires, mais le marché français ne s’y prête guère, (peu de clean shares, peu de contrats pouvant les intégrer), du moins pour l’instant.

Comment évolue la profession en termes d’effectif et de taille des structures ?

E. B. : Les cabinets grossissent, mais surtout il en existe de plus en plus. On observe à la fois des structures qui se concentrent autour d’un famiy officer qui travaille avec un réseau d’experts externes et d’autres qui intègrent les expertises. Sur ce deuxième type de structure, je pense qu’il est difficile de maintenir l’intuitu personae dans la durée.

Le marché des family offices est-il sujet à la concentration du secteur ?

E. B. : Non, même s’il peut y avoir des discussions bilatérales. Notre activité est par nature difficilement industrialisable ou scalable. Nous sommes constamment dans une approche de sur-mesure pour offrir à chaque famille des solutions dédiées.

A quel niveau de patrimoine l’offre de family office est-elle accessible ?

P. M.  : L’accès aux services de family office se justifie pour des patrimoines familiaux d’au moins 10 à 20 millions d’euros. En effet, c’est à cette taille de patrimoine qu’il existe des problématiques complexes, sur plusieurs générations et avec un horizon d’investissement lointain.

E. B. : Ces derniers temps, le seuil d’accès s’élève, car nous subissons une réglementation qui ne nous est pas adaptée, mais qui pèse sur notre activité. Par exemple, nous avons des procédures de gestion des conflits d’intérêts à mettre en œuvre, alors que nos intérêts sont totalement alignés avec ceux de nos clients… De même, nous avons des contraintes en termes de KYC importantes, alors que le nombre de familles suivies par un family officer est très limité.


Les cinquante-cinq premiers diplômés mis à l’honneur

Le 22 mars dernier, l’Affo et l’Aurep ont remis, lors d’une cérémonie au Philanthro Lab, les certificats aux cinquante-cinq lauréats des deux premières promotions de la formation dédiée aux métiers du family office. Cette formation certifiante a été pensée et dédiée aux professionnels qui exercent auprès des familles (mono ou multi-family office, banquiers privés, conseillers en gestion de patrimoine indépendants ou salariés, professionnels du droit et du chiffre : notaires, avocats, experts-comptables…). Dispensée par des professionnels et membres de l’Affo et par l’équipe pédagogique de l’Aurep, elle s’articule autour de trois axes principaux : la gouvernance d’entreprise et familiale, l’organisation patrimoniale de la famille, et l’accompagnement de la famille ou comment gérer l’affectio familiae. La durée de la formation à Paris est de vingt jours (cent-quarante heures) répartis sur douze mois pour un coût de 10 000 euros (tarifs non soumis à la TVA). La troisième promotion du certificat Métiers du family office est en cours et les inscriptions sont ouvertes pour la quatrième édition qui débutera en janvier 2023.